Influenceurs : des commerçants comme les autres ? (ou presque)

Par un arrêt du 23 février 2024, la Cour d’appel de Paris confirme un jugement de première instance dans lequel elle se positionne pour la première fois sur la question de savoir si un influenceur est un commerçant ou un salarié, au regard des faits d’espèce.

Quels étaient les faits ?

Un influenceur, représenté par la société Bolt Influence, spécialisée dans la création de campagnes de marketing d’influence sur les réseaux sociaux, avait signé un contrat de représentation exclusive renouvelé début 2022.

En juin 2022, l’influenceur notifie la résiliation de ce contrat aux torts exclusifs de l’agence.

En novembre 2022, la société Bolt Influence a fait assigner l’influenceur et sa société devant le tribunal de commerce de Paris pour rupture brutale anticipée du contrat.

Que soutenaient les Parties ?

L’influenceur et sa société soutenaient que le contrat devait être requalifié en contrat de travail. Selon eux, l’influenceur avait prêté son image pour réaliser une présentation contrôlée par l’annonceur, sans avoir de liberté d’interprétation au regard des instructions précises et contraignantes données par « brief ».

De son côté, l’agence répliquaient que les prestations n’étaient pas réduites à la seule utilisation de l’image de l’influenceur comme mannequin, mais que l’influenceur était libre de déterminer la manière dont il présentait les produits ou les services à son audience, selon son propre style.

Que dit la Cour ?

Dans un premier temps, elle affirme que l’existence d’un contrat de travail suppose l’existence d’un lien de subordination juridique, exclusif de toute autonomie dans la réalisation de la prestation délivrée.

Les juges admettent que le contrat liant un agent ou un annonceur à l’influenceur peut recevoir plusieurs qualifications selon :
• les prestations attendues ;
• les modalités de leur réalisation.

La Cour analyse ensuite en détail le statut du mannequin (1) et le statut de l’artiste interprète (2).

1) Le statut du mannequin

Citant les articles L.7123-2 et L.7123-3 du code du travail, la Cour affirme que l’influenceur, se présentant comme tel, ne se contentait pas de prêter son image mais devait appliquer des feuilles de route, des « briefs » contenant le détail de la prestation à effectuer (caractéristique de la campagne, désignation des produits ou services à promouvoir…)
L’influenceur créait des mises en scène, en fonction de choix créatifs, demeurait libre de réaliser des vidéos selon son propre style. De plus, il disposait d’une totale liberté quant à la réalisation des campagnes qui lui étaient proposées. Enfin, il ne percevait pas de « salaire ».

L’influenceur ne pouvait donc se prévaloir d’un contrat de travail en lien avec le statut de mannequin.

2) Le statut de l’artiste interprète

S’appuyant sur les articles L.212-1 et L.7121-3 du Code de propriété intellectuelle, la Cour rappelle que l’influenceur n’avait aucun rôle prédéfini à jouer, ni aucun texte à dire, dans le cadre des vidéos mais qu’il créait lui-même des mises en scène, afin de promouvoir les produits.

Enfin, aucun lien de subordination n’a pas été caractérisé, « ce lien ne saurait être déduit de la mission contractuellement dévolue à l’agence d’assurer la négociation des contrats pour son compte ».

Aucun lien de subordination n’étant caractérisé, il n’était donc pas lié par un contrat de travail en lien avec le statut d’artiste interprète.

Enfin, la nature commerciale des relations entre parties est confirmée en ce que l’influenceur exerçait une activité consistant à diffuser, à titre habituel, des messages de promotion publicitaire de produits en contrepartie d’une « rémunération » prévue dans le contrat versée par l’agence pour le compte de l’annonceur.

Et après ?

C’est la première décision que la Cour rend sur le statut du créateur de contenu, son apport est donc utile et permet de préciser par des faisceaux d’indices les éléments de faits sur lesquels la Cour se penche pour apprécier le statut du créateur de contenu.

Néanmoins, elle apporte une position stricte et sans nuance sur le sujet et notamment sur la caractérisation d’un lien de subordination.

Pourtant, on sait que le contrat de mannequin peut être présumé être un contrat de travail sans existence d’un lien de subordination. A ce titre, l’alinéa 2 de l’article L. 7123-4 du code du travail indique que la présomption de l’existence d’un contrat de travail « n’est pas non plus détruite par la preuve que le mannequin conserve une entière liberté d’action pour l’exécution de son travail de présentation ».
Cela vaut également pour la question de l’artiste-interprète considéré comme un artiste de spectacle par le code de travail. La présomption n’est pas détruite « par la preuve que l’artiste conserve la liberté d’expression de son art, qu’il est propriétaire de tout ou partie du matériel utilisé ou qu’il emploie lui-même une ou plusieurs personnes pour la seconder, dès lors qu’il participe personnellement au spectacle » (article L. 762-1 alinéa 2 du Code du travail).
La Cour de cassation a même pu juger que la preuve de l’absence de subordination des artistes à l’organisateur de spectacles n’est pas de nature à exclure l’application de la présomption légale1.

Une chose est rassurante : une telle décision de jurisprudence montre qu’on se dirige bien vers une reconnaissance d’un statut autonome de la profession d’influenceur.

Alain Hazan
Avocat à la Cour – Associé

Emeline Jet
Avocate à la Cour

1) Cass. soc. 14 nov. 1991, Bull. civ. V, no 506 ; 1er oct. 1992, Bull. civ. V, no 496

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Alain Hazan – Avocat, Associé TAoMA Partners

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